Parler de l’amour et de la haine de soi est très délicat, c’est un problème difficile. Je pense qu’il faut d’abord se concentrer sur la compréhension de la notion de soi. Le soi de l’homme est cette profondeur de la conscience, cette capacité de se voir soi-même comme quelqu’un, comme une personne, comme une hypostase. Donc, le soi est le lieu de l’hypostase, c’est mon moi en tant qu’hypostase, en tant que Personne. Je suis dans ce soi, dans cette profondeur en moi, par laquelle je m’exprime, je me définis et je me manifeste dans mes relations avec les autres. L’enseignement de l’Eglise fait la différence entre l’être et l’hypostase, entre notre nature et notre hypostase. L’hypostase est la partie qui dirige les énergies de la nature, en les orientant vers le but pour laquelle elle a été créée ou dans le cas contraire l’hypostase va choisir de se séparer de la volonté de Dieu. Donc le soi, l’hypostase a une liberté, elle est libre d’administrer ses énergies en conformité avec la volonté de Dieu ou contre la volonté de Dieu, en se séparant d’elle ; alors l’hypostase se blesse elle-même, elle se détruit et se fait l’esclave des pulsions de la nature. Les énergies de la nature, n’étant plus ordonnées et coordonnées par la volonté libre de l’homme-hypostase, par une volonté éclairée et nourrie par la volonté de Dieu, vont devenir des énergies qui se manifestent contre le but de l’existence de l’homme.
Dieu nous crée en tant que Personne, selon son image. La caractéristique de la Personne est l’amour, l’amour interpersonnel. Il n’existe pas de Personne seule. Etre une Personne signifie exister, exister en communion, exister ensemble avec un autre, avec d’autres. Etre une Personne, c’est être soi-même, et cela veut dire être en communion avec un « Toi », avec un autre. Chacun est capable de dire de lui-même « Moi », dans une relation avec quelqu’un d’autre. Notre soi authentique se forme dans la relation à Dieu. Quand Dieu nous amène à l’existence, il nous met devant Lui, en relation avec Lui et Il nous dit toi. Donc, je deviens moi quand Dieu me dit toi, en m’amenant à l’existence. J’acquiers alors cette qualité d’être une hypostase, une Personne, d’être en relation avec Dieu et avec les autres, dans une relation d’amour.
L’homme a dans sa nature des traits qui sont liés à la qualité de l’image de Dieu qu’il a en lui. Nous avons en nous des potentialités qui, si elles se développent librement, par l’action de la grâce divine, nous font semblables à Dieu. L’amour de soi est l’amour de cette Image, l’amour de cet héritage, de cette donation, de ce don de Dieu dont je suis le centre. Je m’aime moi-même quand je me comprends, je me sens et je me comporte, conscient que je suis un don, que Dieu m’a fait moi-même. Ma vie est un don, mon existence est un don et je suis moi-même un don, car je n’étais pas, je n’existais pas et j’ai commencé à être au moment où j’ai été amené à l’existence comme Personne nouvelle, ce qui est un don de Dieu pour moi personnellement et qui se vit dans l’instant.
L’amour de soi signifie qu’on s’aime soi-même comme un don de Dieu, qu’on s’aime en Dieu. Si je suis un don de Dieu et que je me développe en ce sens, je reste en Lui, je reste en relation avec son souffle de vie, je reste en relation avec les énergies incréées qui m’aident à devenir ce que Dieu a voulu que je sois, ce qu’Il a mis comme souhait dans mon cœur, au plus profond en moi.
La volonté de Dieu pour moi est inscrite en moi comme vocation, comme appel. Croire qu’en moi est inscrite ma vocation, que je ne peux l’accomplir et que je ne peux répondre à cette vocation qu’en demeurant en relation avec Lui, signifie que je m’aime d’un amour sain. Par la chute, par la séparation d’avec Dieu, en renonçant à la grâce, à l’énergie incréée qui conduisait de l’image à la ressemblance, l’homme est devenu un individu et a commencé à vivre une existence individuelle selon l’image de ses parents qui l’ont amené à l’existence, qui lui ont donné la vie. L’image de Dieu demeure en moi, mais pour que cette image soit active, mon hypostase doit mettre en œuvre les pouvoirs, le don que Dieu a mis dans ma nature. Cependant, si ces pouvoirs, ce don ne sont plus activés, je ne peux plus faire ce travail (de transformation, de transfiguration) pour devenir comme Lui.
Aussi quand ce don n’est pas activé, le soi de l’homme devient ego et sa caractéristique n’est pas l’amour de Dieu et de son prochain, mais l’opposition, la lutte, l’antagonisme, l’adversité. Si dans l’amour et dans la communion l’homme se réjouit de la diversité, car il s’accomplit lui-même par la diversité des autres, dans l’existence déchue, individuelle, la diversité devient adversité. Au moment où l’autre devient mon adversaire, je sors de l’amour sain de soi et j’entre dans l’amour égoïste de soi, qui est l’amour du moi déchu, c’est-à-dire l’amour du plaisir, l’évitement de la douleur, l’intérêt égoïste et cette existence centrée sur ce que j’aime et sur ce que je n’aime pas.
Cet amour – philautia– cet amour passionnel de soi, est en fait une haine de soi, car il est source de tristesse, de colère, de souffrances que l’ego essaie d’éviter en accusant l’autre, par plus de haine et de méchanceté. Donc, tout ce que désire l’homme déchu, le soi déchu, l’égo, est destructif pour le soi authentique, pour notre soi authentique.
La souffrance est très grande, car l’homme est fait pour aimer, pour s’offrir lui-même aux autres. L’homme est créé selon l’image de Dieu, c’est-à-dire comme un être aimant qui vit pour l’autre et qui fait de sa vie un don, une offrande à l’autre. L’amour sain de soi, c’est alors quand je vis pour les autres et quand je m’offre aux autres. Ici, il faut faire attention car beaucoup font beaucoup pour les autres, mais pas par amour sain pour le soi authentique ou pour l’autre, mais par égoïsme : je fais ce que l’autre veut de moi pour être accepté, apprécié et vu. Ce besoin d’être vu et apprécié par l’autre mène parfois à des énormes sacrifices, au sacrifice de soi, mais il s’agit en fait de quelque chose de nocif qui n’est pas de l’amour. Et au fur et à mesure que l’homme vit selon les exigences de l’ego, il commence à se haïr lui-même, à perdre ce que les psychologues appellent l’estime de soi.
Cependant, souvent l’homme n’est pas capable d’accepter cette haine de soi, de la reconnaitre, alors il déverse et projette cette haine de soi encore plus sur les autres et il devient encore plus mauvais. C’est là une haine de soi malade.
Quand le Seigneur nous demande de nous haïr nous-mêmes, Il nous demande en fait de découvrir cette haine qui est en nous et qui est naturelle. Nous haïssons le mal, l’homme est fait pour aimer le bien et haïr le mal. Tant que nous vivons mal, que nous faisons le mal et que nous nions cette réalité qui œuvre en nous, alors nous la projetons sur les autres.
La haine de soi est donc le fait de reconnaitre que j’ai en moi le pouvoir de haïr le mal, qui est un don de Dieu ; je me hais alors moi-même comme celui qui fait le mal. C’est ce qu’on appelle la haine de soi saine. Et quand les Pères nous proposent comme guérison la condamnation de soi il s’agit en fait de montrer notre maladie à Dieu, en Lui disant :« Je suis le plus grand des pécheurs ». Il est vrai que quand l’homme se regarde avec l’aide de la grâce, quand il se regarde avec honnêteté lui-même, il découvre qu’il y a des mauvaises tendances dans son âme et qu’il est mauvais. Quand je sens que je suis mauvais, je n’ai plus la capacité de ressentir les mauvaises tendances des autres. Et alors, je vis avec intensité ces mauvaises tendances qui sont en moi, je les vis comme étant les plus grandes, les seules existantes, car je les perçois enfin, je ne les nie plus et je n’ai plus besoin de les projeter sur les autres.
Quand je m’accuse moi-même, je ne fais que montrer ma blessure à Dieu et sans me décourager, je lui demande sa miséricorde : « Seigneur ! Guéris, mon âme ! » Dieu sait et connait combien je suis mauvais au plus profond de moi. Il sait que c’est une maladie et qu’Il est venu à nous, qu’Il s’est incarné, qu’Il a tout fait pour sauver nos âmes en nous donnant son pouvoir divin afin de nous guérir.
Mais comment pouvons-nous guérir si nous ne lui offrons pas notre blessure, si nous ne l’accueillons pas dans notre blessure ? En fait, cette haine de soi qui consiste à haïr le mal qui œuvre en soi, est le visage du véritable amour de soi. C’est pour ça qu’en me haïssant moi-même je gagne ma vie. Aussi, quand je me hais moi-même comme celui qui fait le mal et que je m’offre à Dieu, alors je reçois la grâce de me voir tel que Dieu m’a conçu et je reçois cette grâce divine pour vivre selon Sa volonté.
Quand j’accepte enfin de me voir mauvais, de voir qu’il y a en moi des tendances mauvaises, mais qu’il y a aussi la grâce de haïr ces tendances mauvaises (c’est ça qu’on appelle la haine de soi) alors je peux vivre cette réalité en Dieu. Sinon, cette réalité va se transformer en une haine de soi maladive où je vais souhaiter ma destruction, mon autodestruction, car je n’ai plus d’espoir que quelque chose de bien puisse m’arriver. Et finalement cette croyance qu’il n’y a plus rien à faire est vraie, car tout ce que j’ai fait jusqu’ici a fait grandir en moi ces tendances mauvaises. Ce que je dois faire maintenant, c’est d’accueillir Dieu là où je ne peux plus rien faire. Il s’agit ici du commandement de ne pas tomber dans le désespoir. Je suis entré dans cet enfer en découvrant mes tendances mauvaises, j’ai découvert et je reconnais que j’ai la capacité de haïr le mal, de me haïr moi-même, je profite de cette haine en la vivant avec Dieu, en face de Dieu et en Lui demandant Sa miséricorde pour qu’Il guérisse cette haine, qu’Il me guérisse, afin que je redevienne Sa créature qui vit selon Sa volonté.
Nous prions, nous jeunons, pour avancer sur le chemin mais il faut se demander où nous en sommes sur le chemin. Est-ce que je suis égoïste ? « Non, je ne le suis pas, il y en a d’autres qui sont bien plus égoïstes que moi ». Il faut alors se poser les bonnes questions, comme le font les psychologues. Est-ce que je dérange quelqu’un, est-ce que je fais du mal à quelqu’un ? Est-ce que ceux qui m’entourent sont mécontents de moi ? Si la réponse est « oui » ça veut dire que je suis égoïste. Je découvre alors petit à petit que je suis égoïste, j’accepte de l’être et je crie vers Dieu : « Seigneur, guéris mon âme ! » Le mécontentement de ceux qui m’entourent est donc un symptôme de mon égoïsme. Nous avons l’habitude de tout expliquer en nous trouvant des excuses ou en accusant les autres ; ainsi en ne donnant aucun crédit à ce que les autres disent, nous les imaginons mécontents parce que nous les jugeons fous.
Un autre signe (de l’amour égoïste de soi) est l’irritation. Quand je suis tout le temps irritable, que je n’aime rien, que je suis mécontent et que je critique, je vis une autre manifestation de l’égoïsme, de l’amour passionnel de soi, de ma dépendance au plaisir. J’ai la volonté que tout se fasse maintenant, comme je le veux et comme moi je l’entends. Alors, quand nous sommes irascibles, nous devons dire : « Seigneur, guéris mon âme ! Seigneur, donne-moi de haïr mes mauvaises tendances et de m’aimer moi-même comme image de Toi, de m’aimer moi-même comme Tu me veux, en faisant Ta volonté, en faisant ce qui est utile pour devenir comme Toi ».
L’attitude négative envers soi-même est aussi un signe de l’égoïsme. Pourquoi ? Car quand je dis « Je ne suis bon à rien, je ne fais rien de bon », je me réfère en fait à un modèle mis en moi par mes parents, par mes éducateurs. Je ne suis pas content de moi car je ne suis pas comme les autres me veulent. Il s’agit d’un souhait maladif, égoïste, d’un modèle créé par mon ego, par mon psychisme. A l’inverse, le vrai mécontentement de soi est quand je reconnais que je ne fais pas la volonté de Dieu, que je ne suis pas aimant et que je n’aime pas.
Quand nous vivons des grandes peurs, quand nous ressentons de l’engourdissement, de l’impuissance, nous avons en fait des problèmes avec l’amour de soi, nous ne nous aimons pas dans le sens sain du terme. La haine de soi dans le bon sens du terme c’est accepter toutes nos infirmités et de les offrir à Dieu. Tout ce qui est mauvais en moi est maladie et le Seigneur est venu me guérir. L’amour sain de soi veut dire offrir à Dieu tout le mal qui est en moi et la première phase est d’accepter ce mal. Quand j’ai peur, alors je crie vers Dieu : « Seigneur, guéris-moi de cette peur ! », j’accepte mes limites en acceptant de vivre l’expérience de mon impuissance.
Quand je n’aime pas quelque chose qui est en moi et que je veux faire quelque chose pour changer, il s’agit en fait d’une stratégie de l’ego, de l’égoïsme en moi. Le seul véritable retournement est celui de faire la volonté de Dieu. Or, ce retournement se fait en partant de ce qui existe, en acceptant que je suis comme je suis, que je suis mécontent de ce que je suis et en demandant à Dieu la guérison. Sinon, si nous voulons nous changer par la pensée, nous nous égarons encore plus et nous devenons encore plus malheureux.
Un autre aspect de l’amour sain de soi est donc l’acceptation de soi. « Je suis tel que je suis, je suis comme ça, Seigneur, fais-moi miséricorde ! ». S’accepter tels que nous sommes c’est permettre à Dieu d’œuvrer en nous, avec nos pouvoirs, avec nous. Ainsi, le changement que notre cœur souhaite sans savoir comment s’y prendre peut, par la grâce de Dieu, s’opérer en nous.
L’amour sain de soi est capable d’apprécier le bien que nous faisons. Quand nous avons fait quelque chose de bien et que nous sommes dans un amour sain de nous-mêmes, nous nous réjouissons et nous remercions Dieu, en reconnaissant toute de suite que sans Lui nous n’aurions rien pu faire. Et alors, si je m’aime, je multiplierai les activités où je fais de bonnes choses, pour vivre cet état de silence et de force intérieure qui accompagne les bonnes actions. Je m’aime alors sainement mais conscient que tout est don de Dieu.
Saint Jean Chrysostome dit que nous devons remercier Dieu pour tout le bien, tout ce qui est bon, car cela va rester en nous, mais nous pouvons aussi remercier pour le mal qui passe. Quand je découvre que je fais quelque chose de mal, je devrais dire : « Seigneur, je te remercie pour ce mal qui passe et qui ne reste pas en moi. » Quand je fais quelque chose de bien : « Seigneur, je te remercie pour ce bien qui reste en moi, c’est le don que Tu me fais »
Un autre signe de l’égoïsme, de la maladie, est le mécontentement, la critique, c’est le signe de l’amour passionnel de soi.
L’amour sain de soi : „Aime ton prochain comme toi-même.”
Quand nous découvrons notre soi devant Dieu, ce moi selon l’image de Dieu, en tant que Personne libre, créée pour vivre dans l’amour, dans la communion avec Dieu et avec son prochain, nous découvrons le véritable amour de soi. Dans la mesure où je suis conscient de moi et que je m’accepte tel que je suis maintenant, que je m’aime tel que je suis, je suis alors dans un amour sain de moi-même.
Mais que signifie « m’aimer tel que je suis »? Cela veut dire que je m’aime en tant que Personne (hypostase) qui a été amenée à l’existence pour devenir dieu, pour devenir comme Dieu. Cependant, je suis très loin de ça. Pour que je puisse parcourir cette distance cosmique entre moi tel que je suis et celui que Dieu veut que je devienne, j’ai besoin de Dieu mais j’ai besoin aussi de m’accepter moi-même tel que je suis. Quand j’accepte de me voir malade, égoïste, petit, mesquin, c’est là que je m’aime vraiment. Je connais mes limites, je les reconnais comme limites, je les appelle maladies et je les offre à Dieu pour qu’Il me guérisse. Ça c’est le véritable amour de soi.
Mais l’amour de soi peut être un amour douloureux, car il n’est pas facile de s’accepter quand on n’aime pas ce qu’on est. Quand nous nous voyons tels que nous sommes, c’est impossible que cela nous plaise (totalement), même si nous sommes extraordinaires ; car dans le véritable amour de soi, nous ne nous voyons plus nous-mêmes mais nous voyons (à la fois) Dieu et notre prochain et nous nous voyons (les uns les autres) grandir dans la ressemblance. Etant conscient que je suis loin de ça, je suis conscient de mon état déchu et je souhaite me guérir, m’élever et croitre. Au fur et à mesure que je m’accepte tel que je suis, dans cette perspective du devenir où je m’offre à Dieu pour qu’Il me transforme, j’accepte alors les autres aussi tels qu’ils sont et le monde tel qu’il est. Dans cette acceptation de ce qui est, il est important de garder fermement la croyance que si les autres ne sont pas prêts, ils sont comme moi en chemin, en devenir. Ils restent embourbés dans les mêmes infirmités, les mêmes mauvaises tendances et les mêmes maladies que moi.
En fait, quand je m’aime de façon saine, j’aime devenir sain et il en est de même, quand j’aime l’autre, j’aime qu’il devienne sain. Ainsi, quand je m’aime, je fais des choses pour devenir sain et quand j’aime l’autre je fais des choses pour qu’il devienne sain. C’est cela l’amour sain, qui parfois inclue des sentiments, mais pas obligatoirement. Je peux avoir des sentiments de rejet de moi-même, de mon comportement, de haine de soi, mais être cependant dans l’amour, je peux voir ma maladie et prier Dieu :« Seigneur, guéris-moi ! Seigneur, je n’aime pas cette manière d’être, de me comporter, c’est Toi que je veux ! »
Une forme d’amour de soi malade est de ne pas s’aimer par manque de confiance en soi. Quand nous n’avons pas confiance en nous, nous sommes dans une forme d’amour malade car nous sommes malades, nous sommes dépendants de l’opinion des autres. Être dépendant de l’opinion des autres signifie qu’on est malade, cela veut dire qu’on ne s’aime pas d’une manière saine et qu’on ne peut pas s’extraire de ce piège. L’homme de Dieu, l’homme qui vit dans la grâce, voit ses infirmités. Se connaitre soi-même veut dire connaitre ses infirmités, mais c’est aussi connaitre les dons qu’on possède.
Quand l’homme égoïste découvre en lui-même une infirmité ou une limite, il entre en conflit avec lui-même : « Je ne devrais pas être comme ça, je devrais être comme les autres » ; il se compare et des conflits intérieurs apparaissent. L’homme de Dieu n’entre pas dans ces conflits car il comprend qu’il ne peut pas réaliser lui-même l’idéal, mais Dieu le réalise en lui, au fur et à mesure qu’il œuvre en respectant les commandements. Il se voit lui-même tel qu’il est et il va tout faire pour faire la volonté de Dieu. Et au fur et à mesure qu’il fait la volonté de Dieu, les infirmités deviennent des lieux d’énergies divines.
Une forme d’amour égoïste de soi est le perfectionnisme. Le perfectionnisme est la conséquence de l’orgueil. L’amour sain de soi signifie être patient avec soi-même, c’est comprendre que c’est impossible de ne pas faire de fautes et que faire des fautes signifie apprendre. Il ne faut pas attendre de nous-mêmes plus que ce qui nous est demandé. Contentons-nous de faire ce que nous avons à faire au bon moment !
La saine confiance en soi est la confiance que je peux faire ce qui m’est demandé, de faire avec le don de Dieu et que je peux apprendre de chaque faute. C’est ici une dimension saine de la confiance en soi : « Je me suis trompé, je n’ai pas réussi, mais j’ai appris ça et ça et ça… ». Quand j’ai confiance en moi, je n’ai pas besoin de me tromper dix fois pour apprendre quelque chose, à chaque faute, j’apprends.
L’amour sain de soi est la capacité de reconnaitre ses fautes et de demander pardon. Quand le sentiment de culpabilité apparait, il faut se repentir tout de suite, ce qui est un signe de l’amour sain de soi. Quand la culpabilité apparait et qu’on rejette le repentir, cela montre un manque d’amour de soi sain et révèle une culpabilité névrotique.
Une autre modalité de l’amour malade est le contrôle. Quand nous contrôlons les autres, quand nous les surveillons pour voir s’ils ont fait ça ou ça, il s’agit d’un amour de soi malade, qui se reflète dans un mode de comportement agressif par rapport aux autres.
Quand nous nous mettons en colère contre celui qui ne satisfait pas nos exigences ou qu’il ne les devine pas, nous souffrons d’un amour de soi malade qui révèle une absence d’amour sain de soi. Quand tu t’aimes vraiment, tu comprends que tu ne peux pas tout, dans tous les cas et toujours, et tu demandes à Dieu de l’aide pour ça ; alors tu comprends que l’autre est comme toi.
Dans l’amour de soi malade nous portons des masques, nous nous cachons des autres pour qu’ils ne nous voient pas tels que nous sommes. Et plus nous nous cachons, plus nous sommes tourmentés, car nous ne vivons plus les dons que les autres nous font dans la relation. Quand je me cache, si quelqu’un m’apprécie je ne vis plus la reconnaissance et la joie de cette appréciation, car ma pensée va me dire : « S’il savait comment je suis en réalité… » Je ne peux donc pas voir mes mérites ni avoir une relation authentique avec l’autre.
L’amour sain de soi implique l’authenticité. Etre authentique, c’est être comme tu es. Si par exemple tu es égoïste, tu ne dois pas prétendre que ce que tu fais est par amour des autres. Mais, si tu laisses voir combien tu es égoïste, tu recevras ce que tu mérites dans cette relation, cependant ça sera de toute façon moins douloureux que ce que tu reçois quand tu te caches. Tu t’aimes donc toi-même quand tu acceptes de reconnaître que tu es égoïste et tu demandes la guérison à Dieu.
Celui qui ne s’aime pas n’a pas d’empathie, il n’apprécie pas les autres, il envie le bien des autres, il n’a pas confiance dans les autres, il n’a pas de respect et il ne peut pas pardonner ; tout ça à différents degrés. L’amour égoïste, le manque d’amour, suppose le manque de respect, ou un faux respect pour manipuler les autres. Quand nous sommes égoïstes et que nous n’aimons pas les autres, nous les utilisons pour notre intérêt; nous pouvons le faire par la force, par la violence, par la manipulation : nous pouvons les louer, nous pouvons leur susciter des sentiments agréables et exercer ainsi notre pouvoir sur eux. Il y a plusieurs façons de les influencer, de les contrôler, de faire apparaitre chez eux un comportement conforme à nos intérêts.
C’est l’égoïsme et l’amour malade de soi que nous devons vivre comme haine de soi. Il faut écouter ce sentiment de haine de cette réalité en nous et le transformer en haine de soi saine, en demandant à Dieu miséricorde et guérison.
L’amour sain de soi suppose d’aimer Dieu. Quand on aime Dieu, on peut Lui dire « Je t’aime, Seigneur, multiplie mon amour ! ». Quand on suit ses commandements par amour pour Lui et non pas par intérêt, par peur et pour d’autres raisons égoïstes, alors on est dans le véritable amour de soi.
Quand tu t’aimes avec un amour vrai, tu n’es pas en guerre contre toi-même ; quoi que tu fasses, tu reconnais ta faute, tu reconnais ton infirmité, tu reconnais ta maladie et tu cours chez le médecin, tu cours vers Dieu pour qu’Il te guérisse. Tu ne te regardes plus, tu ne regardes plus tes maladies, mais tu regardes le guérisseur, tu regardes Dieu.
L’amour sain de soi c’est quand tu as des liens sains avec ceux qui t’entourent. Plus tu es sain à l’intérieur, dans ta relation à Dieu, plus les relations avec les autres seront saines. Quand tu n’as pas confiance en toi, quand tu ne t’aimes pas, dans le sens où tu ne t’unis pas à Dieu pour la guérison de toutes tes infirmités, ceux qui t’entourent vont profiter de toi, vont entrer en conflit avec toi.
L’amour sain de soi veut dire être toujours présent ici et maintenant, car nous ne pouvons pas changer le passé et l’avenir n’est pas encore ; l’avenir est déterminé par ce que je fais ici et maintenant. C’est quelque chose de très important ; la source de l’avenir est dans le présent, la qualité de mon avenir est déterminée par ce que je fais maintenant et non pas par de ce que j’ai fait jusqu’ici. Si je me sépare de mon passé, de mes schémas du passé et que je choisis maintenant de vivre avec Dieu, l’avenir de ma vie sera déterminé par ce choix. Mais, si maintenant je choisis de rejeter Dieu pour telle ou telle raison, alors je détermine maintenant et de façon malheureuse mon avenir.
S’aimer vraiment soi-même veut dire ne pas laisser les autres choisir pour nous. Quand nous demandons conseil aux autres, nous ne les laissons pas choisir pour nous. Le conseil que nous demandons est pour élargir notre perspective, pour pouvoir choisir maintenant ce que nous considérons utile pour faire la volonté de Dieu. Quand je fais obéissance et que je veux renoncer à ma volonté, c’est dans l’instant présent que je choisis de renoncer à ma volonté. Si je ne fais pas ma volonté, mais la volonté de celui que j’écoute librement, alors je fais la volonté de Dieu et à ce moment-là, je prends conscience que la volonté de Dieu est pour moi et non pas contre moi.
L’amour de soi malade mène à une vie inauthentique, déchirée dans des rôles de victime, de sauveur et d’abuseur. Par exemple, quand tu es sauveur, quand tu fais le bien en négligeant tes propres besoins, il s’agit d’une forme d’amour malade, qui se reflète dans la vie par des tribulations, par la chute dans la position de victime. Il est très important de comprendre que la position de sauveur est très nuisible pour nous, car alors nous ne nous aimons pas vraiment et nous attendons que l’autre soit reconnaissant pour ce que nous faisons et qu’il nous apprécie. Nous avons un amour de soi malade quand nous dépendons du regard des autres. En plus, cette position de sauveur est nuisible pour l’autre, car en faisant à sa place je l’empêche d’être créatif et responsable.
La peur de l’avenir, la peur de la maladie, la peur de la mort, sont aussi des symptômes d’un manque d’amour de soi. Aussi quand nous manquons d’amour pour nous, cela signifie que nous oublions que nous avons été amenés à l’existence par Dieu et que c’est pour cela que le Christ a donné Sa vie pour nous.
Nous ne nous aimons pas sainement car on ne nous a pas appris à nous aimer, nous n’avons pas été éduqués dans ce sens. Tout ce que nous avons appris, tout ce qui nous a été dit, nous a amenés à un amour égoïste, un amour de soi malade et à un mépris de soi : « tel que je suis, je ne suis pas bon ». C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas acquérir l’amour sain de soi sans rejeter tous ces programmes, tous ces schémas (d’inadaptation). Aussi, sans entrer dans le programme de Dieu, sans amener Dieu en nous, Dieu ne peut œuvrer en nous. Et la porte par laquelle nous entrons dans ce programme est le repentir. Se repentir, c’est accepter notre manière d’être, c’est reconnaître nos faiblesses, nos impuissances, nos incapacités, nos infirmités et nos limites tout en demandant de l’aide à Dieu à chaque instant de notre vie.